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et sainte. Adieu, monsieur, obéissez-moi en pensant que vos succès jetteront quelque plaisir dans ma solitude, et ne songez à moi que comme on songe aux absents. »

Après avoir lu cette lettre, Gaston de Nueil écrivit ces mots :

« Madame, si je cessais de vous aimer en acceptant les chances que vous m’offrez d’être un homme ordinaire, je mériterais bien mon sort, avouez-le ? Non, je ne vous obéirai pas, et je vous jure une fidélité qui ne se déliera que par la mort. Oh ! prenez ma vie, à moins cependant que vous ne craigniez de mettre un remords dans la vôtre... »

Quand le domestique de monsieur de Nueil revint de Courcelles, son maître lui dit : – À qui as-tu remis mon billet ?

– À madame la vicomtesse elle-même ; elle était en voiture, et partait.

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Pour venir en ville ?

Monsieur, je ne le pense pas. La berline de madame la vicomtesse était attelée avec des chevaux de poste.

Ah ! elle s’en va, dit le baron.

Oui, monsieur, répondit le valet de chambre.

Aussitôt Gaston fit ses préparatifs pour suivre madame de Beauséant. La vicomtesse le mena jusqu’à Genève sans se savoir accompagnée par lui. Entre les mille réflexions qui l’assaillirent pendant ce voyage, celle-ci : – Pourquoi s’en estelle allée ? l’occupa plus spécialement. Ce mot fut le texte d’une multitude de suppositions, parmi lesquelles il choisit naturellement la plus flatteuse, et que voici : – Si la vicomtesse veut m’aimer, il n’y a pas de doute qu’en femme d’esprit, elle préfère la Suisse où personne ne nous connaît, à la France où elle rencontrerait des censeurs.

Certains hommes passionnés n’aimeraient pas une femme assez habile pour choisir son terrain, c’est des raffinés. D’ailleurs rien ne prouve que la

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supposition de Gaston fût vraie.

La vicomtesse prit une petite maison sur le lac. Quand elle y fut installée, Gaston s’y présenta par une belle soirée, à la nuit tombante. Jacques, valet de chambre essentiellement aristocratique, ne s’étonna point de voir monsieur de Nueil, et l’annonça en valet habitué à tout comprendre. En entendant ce nom, en voyant le jeune homme, madame de Beauséant laissa tomber le livre qu’elle tenait ; sa surprise donna le temps à Gaston d’arriver à elle, et de lui dire d’une voix qui lui parut délicieuse : – Avec quel plaisir je prenais les chevaux qui vous avaient menée ?

Être si bien obéie dans ses vœux secrets ! Où est la femme qui n’eût pas cédé à un tel bonheur ? Une Italienne, une de ces divines créatures dont l’âme est à l’antipode de celle des Parisiennes, et que de ce côté des Alpes l’on trouverait profondément immorale, disait en lisant les romans français : « Je ne vois pas pourquoi ces pauvres amoureux passent autant de temps à arranger ce qui doit être l’affaire d’une matinée. » Pourquoi le narrateur ne pourrait-il

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pas, à l’exemple de cette bonne Italienne, ne pas trop faire languir ses auditeurs ni son sujet ? Il y aurait bien quelques scènes de coquetterie charmantes à dessiner, doux retards que madame de Beauséant voulait apporter au bonheur de Gaston pour tomber avec grâce comme les vierges de l’antiquité ; peut-être aussi pour jouir des voluptés chastes d’un premier amour, et le faire arriver à sa plus haute expression de force et de puissance. Monsieur de Nueil était encore dans l’âge où un homme est la dupe de ces caprices, de ces jeux qui affriandent tant les femmes, et qu’elles prolongent, soit pour bien stipuler leurs conditions, soit pour jouir plus longtemps de leur pouvoir dont la prochaine diminution est instinctivement devinée par elles. Mais ces petits protocoles de boudoir, moins nombreux que ceux de la conférence de Londres, tiennent trop peu de place dans l’histoire d’une passion vraie pour être mentionnés.

Madame de Beauséant et monsieur de Nueil demeurèrent pendant trois années dans la villa située sur le lac de Genève que la vicomtesse avait louée. Ils y restèrent seuls, sans voir

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personne, sans faire parler d’eux, se promenant en bateau, se levant tard, enfin heureux comme nous rêvons tous de l’être. Cette petite maison était simple, à persiennes vertes, entourée de larges balcons ornés de tentes, une véritable maison d’amants, maison à canapés blancs, à tapis muets, à tentures fraîches, où tout reluisait de joie. À chaque fenêtre le lac apparaissait sous des aspects différents ; dans le lointain, les montagnes et leurs fantaisies nuageuses, colorées, fugitives ; au-dessus d’eux, un beau ciel ; puis, devant eux, une longue nappe d’eau capricieuse, changeante ! Les choses semblaient rêver pour eux, et tout leur souriait.

Des intérêts graves rappelèrent monsieur de Nueil en France : son frère et son père étaient morts ; il fallut quitter Genève. Les deux amants achetèrent cette maison, ils auraient voulu briser les montagnes et faire enfuir l’eau du lac en ouvrant une soupape, afin de tout emporter avec eux. Madame de Beauséant suivit monsieur de Nueil. Elle réalisa sa fortune, acheta, près de Manerville, une propriété considérable qui joignait les terres de Gaston, et où ils

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demeurèrent ensemble. Monsieur de Nueil abandonna très gracieusement à sa mère l’usufruit des domaines de Manerville, en retour de la liberté qu’elle lui laissa de vivre garçon. La terre de madame de Beauséant était située près d’une petite ville, dans une des plus jolies positions de la vallée d’Auge. Là, les deux amants mirent entre eux et le monde des barrières que ni les idées sociales, ni les personnes ne pouvaient franchir, et retrouvèrent leurs bonnes journées de la Suisse. Pendant neuf années entières, ils goûtèrent un bonheur qu’il est inutile de décrire ; le dénouement de cette aventure en fera sans doute deviner les délices à ceux dont l’âme peut comprendre, dans l’infini de leurs modes, la poésie et la prière.

Cependant, monsieur le marquis de Beauséant (son père et son frère aîné étaient morts), le mari de madame de Beauséant, jouissait d’une parfaite santé. Rien ne nous aide mieux à vivre que la certitude de faire le bonheur d’autrui par notre mort. Monsieur de Beauséant était un de ces gens ironiques et entêtés qui, semblables à des rentiers viagers, trouvent un plaisir de plus que n’en ont

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les autres à se lever bien portants chaque matin. Galant homme du reste, un peu méthodique, cérémonieux, et calculateur capable de déclarer son amour à une femme aussi tranquillement qu’un laquais dit : – Madame est servie.

Cette petite notice biographique sur le marquis de Beauséant a pour objet de faire comprendre l’impossibilité dans laquelle était la marquise d’épouser monsieur de Nueil.

Or, après ces neuf années de bonheur, le plus doux bail qu’une femme ait jamais pu signer, monsieur de Nueil et madame de Beauséant se trouvèrent dans une situation tout aussi naturelle et tout aussi fausse que celle où ils étaient restés depuis le commencement de cette aventure ; crise fatale néanmoins, de laquelle il est impossible de donner une idée, mais dont les termes peuvent être posés avec une exactitude mathématique.

Madame la comtesse de Nueil, mère de Gaston, n’avait jamais voulu voir madame de Beauséant. C’était une personne roide et vertueuse, qui avait très légalement accompli le bonheur de monsieur de Nueil le père. Madame

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de Beauséant comprit que cette honorable douairière devait être son ennemie, et tenterait d’arracher Gaston à sa vie immorale et antireligieuse. La marquise aurait bien voulu vendre sa terre, et retourner à Genève. Mais c’eût été se défier de monsieur de Nueil, elle en était incapable. D’ailleurs, il avait précisément pris beaucoup de goût pour la terre de Valleroy, où il faisait force plantations, force mouvements de terrains. N’était-ce pas l’arracher à une espèce de bonheur mécanique que les femmes souhaitent toujours à leurs maris et même à leurs amants ? Il était arrivé dans le pays une demoiselle de La Rodière, âgée de vingt-deux ans, et riche de quarante mille livres de rentes. Gaston rencontrait cette héritière à Manerville toutes les fois que son devoir l’y conduisait. Ces personnages étant ainsi placés comme les chiffres d’une proportion arithmétique, la lettre suivante, écrite et remise un matin à Gaston, expliquera maintenant l’affreux problème que, depuis un mois, madame de Beauséant tâchait de résoudre.

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« Mon ange aimé, t’écrire quand nous vivons cœur à cœur, quand rien ne nous sépare, quand nos caresses nous servent si souvent de langage, et que les paroles sont aussi des caresses, n’est-ce pas un contre-sens ? Eh ! bien, non, mon amour. Il est de certaines choses qu’une femme ne peut dire en présence de son amant ; la seule pensée de ces choses lui ôte la voix, lui fait refluer tout son sang vers le cœur ; elle est sans force et sans esprit. Être ainsi près de toi me fait souffrir ; et souvent j’y suis ainsi. Je sens que mon cœur doit être tout vérité pour toi, ne te déguiser aucune de ses pensées, même les plus fugitives ; et j’aime trop ce doux laisser-aller qui me sied si bien, pour rester plus longtemps gênée, contrainte. Aussi vais-je te confier mon angoisse : oui, c’est une angoisse. Écoute-moi ? ne fais pas ce petit ta ta ta... par lequel tu me fais taire avec une impertinence que j’aime, parce que de toi tout me plaît. Cher époux du ciel, laisse-moi te dire que tu as effacé tout souvenir des douleurs sous le poids desquelles jadis ma vie allait succomber. Je n’ai connu l’amour que par toi. Il a fallu la candeur de ta belle jeunesse, la pureté de ta grande âme pour

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satisfaire aux exigences d’un cœur de femme exigeante. Ami, j’ai bien souvent palpité de joie en pensant que, durant ces neuf années, si rapides et si longues, ma jalousie n’a jamais été réveillée. J’ai eu toutes les fleurs de ton âme, toutes tes pensées. Il n’y a pas eu le plus léger nuage dans notre ciel, nous n’avons pas su ce qu’était un sacrifice, nous avons toujours obéi aux inspirations de nos cœurs. J’ai joui d’un bonheur sans bornes pour une femme. Les larmes qui mouillent cette page te diront-elles bien toute ma reconnaissance ? j’aurais voulu l’avoir écrite à genoux. Eh ! bien, cette félicité m’a fait connaître un supplice plus affreux que ne l’était celui de l’abandon. Cher, le cœur d’une femme a des replis bien profonds : j’ai ignoré moi-même jusqu’aujourd’hui l’étendue du mien, comme j’ignorais l’étendue de l’amour. Les misères les plus grandes qui puissent nous accabler sont encore légères à porter en comparaison de la seule idée du malheur de celui que nous aimons. Et si nous le causions, ce malheur, n’est-ce pas à en mourir ?... Telle est la pensée qui m’oppresse. Mais elle en traîne après elle une autre beaucoup

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